Le sénateur Jean-Louis LORRAIN vient de transmettre à la Commission des affaires sociales du Sénat une proposition de résolution européenne concernant deux propositions législatives émanant de la Commission européenne. L’une concerne une proposition de directive encadrant les procédures nationales de fixation des prix et d’admission au remboursement des médicaments et la seconde concerne la proposition de règlement relatif aux essais cliniques de médicaments à usage humain. Ces propositions de résolution sont consultables sur le site du Sénat. Vous trouverez, ci-après reproduit, l’exposé des motifs et la proposition de résolution concernant spécifiquement la proposition de règlement relatif aux essais cliniques de médicaments à usage humain et abrogeant la directive 2001/20/CE. Nous n’avons a pas fini de parler de cette proposition de règlement, ni de celle concernant le règlement européen relatif aux dispositifs médicaux qui comporte d’importantes dispositions concernant les « investigations cliniques », puisque chacune de ces propositions, dans un soucis d’harmonisation, prend le parti de ne pas aborder la dimension éthique des « essais cliniques » (pour les médicaments) et des « investigation cliniques » (pour les dispositifs médicaux).
« N° 145
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2012-2013
Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 novembre 2012
PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
PRÉSENTÉE AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)
EN APPLICATION DE L’ARTICLE 73 QUATER DU RÈGLEMENT,
sur les essais cliniques de médicaments et la transparence des mesures nationales de fixation des prix et d’admission au remboursement des médicaments (textes E 7534 et E 7155),
Par M. Jean-Louis LORRAIN,
Sénateur
(Envoyée à la commission des affaires sociales.)
(…) I.- Le règlement « Essais cliniques » En amont du processus d’élaboration d’un médicament se situe la phase – déterminante pour son avenir – des essais cliniques qui permettent d’évaluer sur l’homme l’efficacité et la tolérance d’un traitement. Depuis 2001, l’Union s’est dotée d’une législation encadrant les essais cliniques, dont le but principal est de préserver les droits des personnes sur lesquelles sont testées les molécules. Elle s’est inspirée pour cela de la France qui fut pionnière avec la loi de 1988 relative à la protection des personnes dans la recherche biomédicale, dont l’initiative revient à deux anciens sénateurs, MM. Claude Huriet et Franck Sérusclat. Le bilan de la directive de 2001 est plutôt bon : la sécurité et la validité éthique des essais cliniques se sont nettement améliorées dans l’Union européenne, ainsi que la fiabilité des données obtenues. Toutefois, les entreprises du secteur du médicament, les chercheurs universitaires, même les patients indique la Commission, considèrent que le cadre législatif mis en place par la directive est trop lourd et surtout que sa transposition par les différents États membres, trop disparate, a érigé des obstacles à la tenue des essais cliniques multinationaux qui sont souvent nécessaires (pour les maladies rares, en particulier). Les entreprises et les chercheurs qui souhaitent réaliser des essais dans plus d’un État de l’Union européenne doivent souvent soumettre des demandes différentes dans chaque pays concerné. Les coûts administratifs et les délais applicables en Europe sont ainsi devenus dissuasifs. Les chiffres fournis par la Commission européenne sont éloquents : de 2007 à 2011, le nombre d’essais cliniques en Europe a diminué de 25%. Au final, on assiste depuis ces dernières années à une délocalisation de la recherche dans les pays émergents, où la supervision des essais est plus souple. Dans ce contexte, le but de la proposition de règlement est de redynamiser la recherche dans le secteur du médicament en Europe en en simplifiant les formalités administratives. Les modalités retenues sont les suivantes : – un système de « guichet unique » est instauré en faisant transiter les demandes d’autorisation d’essais cliniques par un portail informatique mis en place par la Commission ; – chaque demande fera l’objet d’une évaluation en deux parties : la Partie I, de nature scientifique et technique, sera confiée à un « État membre rapporteur » qui coordonnera l’évaluation pour un ensemble d’États, tandis que la Partie II concernant les aspects éthiques relèvera de chaque État concerné ; – les contraintes réglementaires seront également désormais graduées en fonction du risque de l’étude : la catégorie des « essais à faible intervention » est créée à cet effet ; – Enfin, pour chaque étape, des échéances précises seront fixées afin de garantir des délais de réponse plus rapides qu’aujourd’hui. Outre ces mesures de simplification, la Commission renforce la transparence quant au déroulement et aux résultats des essais cliniques dans le cadre du registre public européen des essais. Enfin, le futur règlement prévoit que les essais réalisés dans les pays tiers devront être menés selon des normes « au moins équivalentes » à celles en vigueur dans l’Union, pour qu’ils puissent servir à approuver de nouveaux médicaments en Europe. Quelles difficultés concrètes pose la proposition de règlement ? On en distingue tout d’abord un certain nombre en ce qui concerne la nouvelle procédure européenne d’autorisation des essais. Elles se concentrent sur deux sujets. La désignation d’un État membre rapporteur Pour éviter aux entreprises et chercheurs de soumettre dans le cadre d’essais multinationaux des dossiers dans plusieurs pays comme c’est le cas actuellement, la Commission propose qu’un État membre rapporteur évalue la demande d’autorisation sur le plan scientifique pour l’ensemble des États concernés, en coordination avec eux. Cette solution a l’avantage de simplifier les démarches des promoteurs des essais cliniques, mais elle est critiquable dans sa mise en oeuvre, à deux égards : – Tout d’abord, le choix de l’Etat membre rapporteur relève du promoteur. Or il est indéniable que les agences sanitaires en Europe n’ont pas le même niveau de compétence ni des capacités d’expertise égales. C’est un premier problème. De plus, la liberté de choix risque de faire émerger une situation de « clientélisme », où des relations privilégiées se noueraient entre les promoteurs et certaines agences dont l’évaluation serait moins exigeante que dans d’autres États. – Ensuite, l’État rapporteur dispose du « dernier mot » alors que les autres États ont des possibilités limitées pour empêcher la tenue d’essais cliniques qu’ils n’approuveraient pas sur le plan scientifique. La proposition de règlement ne prévoit que deux cas possibles de retrait d’un État : l’existence de différences notables avec l’Etat rapporteur en matière de pratiques cliniques susceptibles d’entraîner pour le participant un traitement de qualité inférieure à la normale ; les essais cliniques concernant des médicaments obtenus à partir de cellules souches. Ces dispositions ne sont pas satisfaisantes en l’état. Sans remettre en cause les objectifs de la Commission, il serait par exemple préférable qu’une concertation entre États membres concernés puisse intervenir dans le but de désigner l’État membre rapporteur. Des délais contraints et une charge de travail supérieure La Commission prévoit de contraindre les délais d’examen des demandes d’autorisation actuellement en vigueur. Elle fixe des délais différents en fonction du risque que représente l’essai. Ainsi pour la Partie I (aspects scientifiques) : 10 jours pour les essais les moins risqués, dits à faible intervention, 25 jours pour les essais autres et 30 jours pour les essais comportant un médicament expérimental de thérapie innovante. Pour la Partie II (aspects éthiques) : 10 jours en parallèle de la partie I, quel que soit le type d’essai. Des « arrêts d’horloge » sont prévus si des explications complémentaires sont nécessaires de la part des promoteurs mais ils sont limités. Actuellement, l’évaluation correspondant aux Parties I et II du nouveau règlement doit se dérouler en 60 jours maximum pour tous les essais. Au-delà de la réduction sensible des délais, c’est le manque de souplesse dans le déroulement de la séquence d’évaluation qui risque de poser problème. L’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) indique ainsi que le respect par ses services du délai de 60 jours n’est possible qu’en raison du fait que de nombreux dossiers déposés sont incomplets : cette situation empêche la validation du dossier donc le déclenchement du chronomètre pour l’étape d’évaluation ; mais, elle a l’avantage de permettre à l’agence de débuter l’analyse de tous les éléments déjà fournis. Le temps supplémentaire acquis se compte parfois en mois. Or, cette possibilité va disparaître avec le règlement. Notre agence nationale ne dispose pas actuellement des moyens suffisants pour respecter les délais de validation et d’évaluation de la partie I, en maintenant le niveau de qualité d’expertise actuel. D’autant moins que la proposition de règlement entraînera au final une charge de travail supérieure. Il est en effet possible de s’appuyer sur l’exemple concret de la « procédure d’harmonisation volontaire » (VHP selon l’acronyme anglais) mise en place depuis 2009 par les agences du médicament des États membres, afin – déjà – de proposer aux promoteurs une évaluation coordonnée et simultanée des essais cliniques multinationaux. Or, quel bilan peut-on faire de cette initiative ? Dans un cadre moins contraint que celui du futur règlement, cette procédure d’harmonisation volontaire s’avère efficace mais entraîne une charge de travail supplémentaire importante, surtout pour l’État rapporteur. Une dizaine de pays seulement ont actuellement suffisamment de ressources pour assurer régulièrement le rôle de rapporteur. Que l’État soit rapporteur ou non, chaque procédure donne lieu à un très grand nombre d’échanges par courrier électronique : une centaine en moyenne. Les délais sont difficiles à tenir et il est compliqué d’accorder les agendas pour élaborer au final une décision consensuelle. De plus, il faut savoir que l’Agence nationale de sécurité du médicament se verra confier une partie des tâches qui incombent actuellement aux comités de protection des personnes (CPP). En effet, outre l’analyse de la validité de la recherche d’un point de vue éthique (consentement, information des participants), ces comités évaluent la pertinence scientifique de l’essai au regard de l’état des connaissances, et ses modalités statistiques. Ces tâches vont désormais échoir à l’ANSM qui réalise déjà le reste de l’expertise scientifique ; l’activité des comités de protection des personnes CPP sera désormais réduite à l’évaluation éthique stricto sensu. Ces comités n’auront pas la tâche plus facile pour autant, car le délai qu’ils auront pour se prononcer passera de 60 à 25 jours maximum. Il est permis de s’interroger d’ailleurs sur le déroulement futur des évaluations éthiques si celles-ci sont conduites indépendamment d’une analyse scientifique de l’objet de la recherche. Les nouveaux délais seront en tout état de cause très difficiles à respecter pour la France, car la récente Loi « Jardé » relative aux recherches impliquant la personne humaine a instauré un système de tirage au sort des CPP qui a pour défaut d’allonger les délais d’examen. Le resserrement des délais préconisé par la Commission européenne risque au total de porter atteinte à la qualité de l’évaluation des essais cliniques et d’être in fine préjudiciable à la sécurité des patients. Le texte de la Commission pose également des problèmes sur le plan éthique. Il faut tout d’abord déplorer le fait que les « comités d’éthique » ne sont plus explicitement mentionnés comme des acteurs du processus d’évaluation, alors que la directive de 2001 leur accorde une place importante. L’article 6 de la directive oblige ainsi les États à constituer des comités d’éthique et détaille leur rôle et les grands principes de leurs missions dans le processus d’autorisation des essais cliniques. On ne trouve malheureusement rien d’équivalent dans le règlement. La Commission argue de la subsidiarité pour ne pas empiéter sur l’organisation interne des États et, par conséquent, ne pas désigner les instances chargées d’accorder les autorisations d’essai clinique au sein de chaque État membre. Elle se contente de fixer pour principe général que toute demande d’essai clinique doit faire l’objet d’une évaluation par un nombre raisonnable de personnes indépendantes, qualifiées et expérimentées, sollicitant l’opinion de personnes extérieures à la profession, mais sans marquer la singularité de l’évaluation éthique. Le principe de subsidiarité a parfaitement vocation à s’appliquer dans le domaine de l’éthique puisque chaque État doit pouvoir se prononcer en fonction de principes éthiques qui lui sont propres du fait de sa culture, de son histoire. En revanche, il ne peut justifier l’absence de référence à la notion de comité d’éthique. De nombreuses conventions internationales dans le domaine de la biomédecine – Déclaration d’Helsinki, Convention d’Oviedo – ont posé depuis longtemps comme principe fondamental que toute recherche entreprise sur une personne doit faire l’objet au préalable d’un « examen pluridisciplinaire de son acceptabilité sur le plan éthique » et que cette tâche doit relever d’un comité d’éthique indépendant. En rendant possible qu’un État puisse ne pas inclure une évaluation éthique indépendante, le règlement situerait l’Union européenne bien en deçà des standards internationaux en biomédecine. Les articles 7 à 11 du règlement, centrés sur la notion de consentement éclairé, sont très insuffisants et ne permettent pas de couvrir les exigences qui s’attachent aux fonctions d’un comité d’éthique : à savoir le respect des principes de bienfaisance, de non-malfaisance (« primum non nocere »), d’autonomie et de justice (non-discrimination). Eu égard à ces observations, il semble primordial que le gouvernement français veille à ce que le règlement mentionne explicitement qu’une évaluation éthique doit avoir lieu et qu’il reconnaisse et affirme le rôle de protection des personnes des comités d’éthique dans le domaine des essais cliniques. Le règlement se trouve également en discordance avec notre droit national en ce qui concerne la protection des personnes vulnérables : Actuellement, la législation française protège spécifiquement certaines populations dites « vulnérables » : il s’agit des femmes enceintes, des personnes privées de liberté, des mineurs ainsi que des personnes majeures incapables. Le règlement, quant à lui, ne prévoit des mesures de protection que pour les deux dernières catégories. La question du choix de la Commission européenne de remplacer la directive de 2001 par un règlement se pose ici avec acuité. Un règlement européen étant applicable directement et uniformément dans les États, il n’est pas acquis que les États membres pourront maintenir leurs dispositions quand elles sont plus protectrices. Dans ces conditions, la France devra-t-elle renoncer aux mesures protégeant spécifiquement les femmes enceintes et les prisonniers, ce qui constituerait une régression ? La Commission ne livre pas de réponse à ce sujet. Il paraît indispensable pourtant que ce point soit clarifié. En conclusion, il s’agit d’un texte dont les objectifs généraux sont légitimes : redynamiser la recherche clinique en Europe en facilitant la mise en oeuvre des essais multinationaux par l’harmonisation des processus et un mécanisme d’évaluation coordonné. Mais en cherchant à minimiser à tout prix les contraintes administratives, la Commission européenne privilégie une approche économique au détriment de la nécessaire protection des personnes. Le choix de l’instrument juridique – un règlement – est par ailleurs déterminant : il impose d’être exigeant. (…) PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE (…) – Concernant la proposition de règlement relatif aux essais cliniques Juge essentiel de maintenir en Europe un niveau d’activité important en matière d’essais cliniques, Soutient par conséquent l’objectif général de la proposition de règlement tendant à faciliter la mise en oeuvre des essais cliniques en Europe, Reconnaît que l’harmonisation des exigences, la mise en place d’un mécanisme d’évaluation coordonnée des demandes d’autorisations d’essais cliniques, et l’introduction d’une démarche de proportionnalité des exigences en fonction du risque prévisible des recherches sont des moyens pertinents pour atteindre cet objectif, Regrette toutefois l’approche déséquilibrée de la Commission européenne dont les mesures cherchent à favoriser à tout prix la compétitivité européenne dans le domaine des essais cliniques au détriment de la qualité des procédures et de la nécessaire protection des patients, Conteste à cet égard les mesures prévues par la Commission sur les points suivants : – Dans le cadre du mécanisme d’évaluation scientifique coordonnée, le choix de l’Etat membre rapporteur ne doit pas relever du seul promoteur mais doit faire l’objet d’une concertation entre tous les États membres concernés par la demande d’autorisation d’essais cliniques, – Les conditions de « non-participation » d’un État à un essai clinique sont trop restrictives : un État membre doit pouvoir invoquer des raisons liées à la sécurité des patients ou des motifs scientifiques pour motiver son retrait d’un projet de recherche clinique ; de même, de manière générale, le retrait doit être possible pour un État qui conteste la conclusion de l’Etat rapporteur, – Le resserrement des délais d’instruction des demandes d’autorisation d’essais cliniques risque de porter atteinte à la qualité de l’évaluation et d’être préjudiciable à la sécurité des patients ; le maintien, dans ces conditions, du principe selon lequel l’absence de réponse administrative dans le délai imparti vaut consentement n’est pas acceptable, – Les articles consacrés aux aspects éthiques sont très insuffisants. Il est impératif que le règlement mentionne au moins explicitement qu’une évaluation éthique doit avoir lieu et que cette mission doit être de préférence confiée à un comité d’éthique, – Le règlement s’avère moins protecteur que le droit français pour certaines populations : les femmes enceintes et les personnes privées de liberté. Compte tenu du fait que le règlement est d’applicabilité directe, il serait souhaitable ou bien qu’une protection des personnes équivalente à celle qui existe aujourd’hui en France soit garantie, ou bien qu’il soit clairement admis que les États membres peuvent maintenir sur ce point des règles plus protectrices. Demande au Gouvernement de soutenir ces orientations auprès des institutions européennes. »