Comment faire passer la pilule du contrat unique aux investigateurs hospitaliers ?

Certaines évidences méritent d’être rappelées : il n’y a pas de recherche clinique sans investigateur !

Si dans son esprit, l’instruction ministérielle du 17 juin 2014 mettant en place un contrat unique pour les recherches biomédicales à promotion industrielle dans les établissements de santé public est louable, sa mise en œuvre implique une prise en considération plus importante des investigateurs afin de maintenir leur implication dans la recherche clinique.

Or, ce sont bien les investigateurs qui apportent des essais cliniques aux établissements de santé dans lesquels ils exercent, et non l’inverse !

1. L’implication des investigateurs hospitaliers est stratégique

Le mécanisme du contrat unique décrit dans l’Instruction du 17 juin 2014 ne prend pas en considération l’investigateur, à savoir la personne physique qui dirige et surveille une recherche biomédicale, se contentant d’évoquer le « pôle investigateur » vers lequel une incitation financière doit être dirigée.

Il est prévu d’intégrer dans le contrat de surcoûts passé avec l’établissement de santé les honoraires des investigateurs empêchant ainsi ces derniers de les percevoir directement ou par l’intermédiaire d’une association dont ils seraient membres.

Or, si une perception des fruits des prestations d’investigation clinique par les associations de services ne permettait pas de garantir une sécurité juridique optimale, cette solution présentait l’avantage de maintenir une certaine paix sociale au sein des établissements de santé en offrant aux services ou pôles investigateurs une souplesse budgétaire salutaire.

La philosophie du contrat unique est finalement dans l’air du temps : confiscatoire ; et donc vexatoire !

L’investigateur s’investit dans la recherche clinique, développe des compétences professionnelles spécifiques, forme du personnel compétent et capte des recherches cliniques promues par l’industrie en jouant ainsi un rôle d’apporteur d’affaires au bénéfice de son établissement de santé qui encaisse des surcoûts tout en améliorant ses indicateurs MERRI. Or, selon l’Instruction du 17 juin 2014, l’investigateur s’en voit remercié par une éventuelle incitation financière versée par le promoteur à l’établissement de santé sur un compte de tiers en tant que recette affectée.

Cela fait rêver !

Peut-on réellement penser que de telles solutions vont amplifier les vocations ou plus simplement maintenir l’implication des investigateurs pour des recherches à promotion industrielle ?

La réponse est évidemment négative et nombreuses sont, d’ores et déjà, les difficultés rencontrées par les établissements de santé tentant d’imposer le contrat unique en leur sein. 

Or, si les difficultés persistent la réponse des investigateurs sera simple : à quoi bon continuer 

Les conséquences seront alors lourdes pour les établissements de santé, la recherche clinique française, l’accès aux soins des patients français et, plus globalement, pour notre économie.

L’équation est en effet très simple : moins d’investigateurs, moins de ressources pour les établissements de santé ; moins de protocoles de recherches pour les patients avec un accès retardé aux solutions thérapeutiques innovantes, moins d’innovations favorisant la croissance et la création d’emplois, etc..

2. L’optimisation de l’usage de l’incitation financière

 Face à un tel constat, comment concilier les avantages du contrat unique tout en maintenant, voire en renforçant, l’implication des investigateurs ?

Afin d’apporter une réponse à cette question, il convient tout d’abord de partir du postulat que les honoraires d’investigation, correspondant aux prestations rendues par l’investigateur dans les cadre de ses missions de direction et surveillance de l’essai, constituent des surcoûts qui seront facturés par l’établissement de santé.

Cela peut choquer certains investigateurs mais il s’agit d’une simple précision de bon sens découlant d’une saine gestion des deniers publics !

L’autorisation de cumul d’activités ne peut rester qu’exceptionnelle. En l’état des textes, elle peut seulement permettre de réaliser une activité accessoire en dehors des heures de service de l’agent public hospitalier. Une telle contrainte est difficilement compatible avec la réalisation de certains protocoles et la bonne organisation du service.

Le levier des honoraires semblant difficile à actionner afin d’intéresser et impliquer les investigateurs, l’idée proposée par l’Instruction, consistant pour le promoteur de la recherche à verser « une incitation financière pour chaque inclusion et/ou pour l’atteinte des objectifs finaux en termes de nombre d’inclusions », est séduisante.

Cette incitation financière doit être considérée comme un bonus en supplément des honoraires des investigateurs perçus par l’établissement de santé et doit récompenser la motivation, le professionnalisme et l’implication des investigateurs qui vont s’attacher à respecter les critères et délais d’inclusion prévus au protocole.

Cela pose bien entendu la question de la viabilité économique d’une telle solution pour le promoteur et sa capacité à supporter un tel bonus.

La négociation de la grille de surcoûts doit donc prendre en compte cette incitation financière optionnelle comme un élément également incontournable du budget d’une recherche clinique afin d’en assurer sa réussite.

Le principe de l’incitation financière étant acquis, cela ne suffit pas, pour autant, à garantir l’implication des investigateurs hospitaliers. Son usage doit être effectif au niveau du pôle investigateur.

Or, c’est cet objectif que l’Instruction n’atteint pas en proposant d’affecter cette incitation au sein de l’établissement de santé sur un compte de tiers en tant que recette affectée ou de la reverser à une fondation hospitalière, un GCS ou un GIE dont l’établissement de santé serait membre.

Pour chacune de ces solutions, l’investigateur ne dispose d’aucune autonomie sur l’utilisation de ces sommes, et surtout, se voit contraint par les règles de la comptabilité publique avec toute la souplesse que nous leur connaissons.

L’idée est donc bonne mais sa mise en œuvre est insatisfaisante pour les investigateurs et peut s’avérer complexe pour les établissements de santé.

Ainsi, afin de rendre cette incitation financière totalement effective et permettre son usage au niveau du pôle investigateur, il convient de trouver une alternative satisfaisante.

3. L’incitation financière peut être dirigée vers un organisme privé sans but lucratif ou une structure de valorisation désignée par l’investigateur

Nombre de services ou pôles situés au sein d’établissements de santé publics ont constitué des associations dont les budgets permettent de faciliter le quotidien de leurs membres en prenant en charge quelques dépenses professionnelles courantes ou exceptionnelles.

Pour l’essentiel, les ressources de ces organismes privés sans but lucratif résultent des contrats d’investigation ou autres coopérations scientifiques réalisées avec l’industrie.

Ces associations pourraient tout naturellement constituer le réceptacle de l’incitation financière versée par le promoteur d’une recherche biomédicale dans le cadre du contrat unique signé avec l’établissement de santé, en présence de l’investigateur.

Certains investigateurs ayant préféré collaborer avec des filiales de valorisation en leur confiant la gestion des relations contractuelles qu’ils pouvaient développer avec des industriels, nous pourrions également imaginer que cette incitation financière soit adressée à ces structures de droit privé à la demande des investigateurs.

Quoiqu’il en soit, la mise en place d’une telle solution est d’une grande simplicité puisqu’elle se limite à modifier les dispositions de l’article 6 de la Convention type annexée à l’Instruction du 17 juin 2014 en prévoyant que l’incitation financière soit versée à l’association désignée par l’investigateur, association dont il est membre et qui dispose de son siège social au sein de l’établissement de santé.

Faut-il le rappeler, l’Instruction du 17 juin 2014 se contente d’informer les établissements de santé publics de la mise en œuvre d’une mesure découlant du contrat stratégique de filière Industries et Technologies de Santé, signé le 5 juillet 2013.

Cette instruction n’est prise sur la base d’aucun texte légal ou réglementaire et ne saurait revêtir une quelconque force contraignante.

En d’autres termes, les parties au contrat unique (comme pour tout contrat d’ailleurs !) sont libres de fixer les termes et conditions de leur accord.

Sans attendre, les investigateurs pourraient proposer aux promoteurs avec lesquels ils sont en pourparlers, ainsi qu’à l’établissement de santé au sein duquel ils exercent, que l’incitation financière (dont les modalités de calcul sont précisées en annexe du contrat unique) soit versée à l’organisme de leur choix présentant un lien avec le pôle investigateur.

Les établissements de santé qui ont des difficultés pour instaurer le contrat unique pourraient également proposer un tel aménagement contractuel à leurs investigateurs, aménagement qui n’aurait aucune incidence sur les indicateurs de performance annoncés par le ministère de santé pour 2015, permettant « de mesurer les délais de contractualisation, l’excellence des établissements et leur contribution à l’attractivité de la France en matière de recherche biomédicale promue par l’industrie » (INSTRUCTION N° DGOS/PF4/2014/298 du 27 octobre 2014 relative au recensement de l’usage 2014 du contrat unique pour les recherches biomédicales à promotion industrielle dans les établissements publics de santé).

Ces indicateurs n’ont que faire du devenir de l’incitation financière à partir du moment où les délais de contractualisation sont réduits et que les investigateurs poursuivent leur engagement dans une recherche clinique française forte.

En résumé, cette mesure consistant à diriger l’incitation financière vers un organisme privé à but non lucratif ou une structure de valorisation choisi par l’investigateur, permettrait de faciliter l’acceptation de la mise en place du contrat unique au sein des établissements de santé.

Cette mesure, qui pourrait être institutionnalisée par voie législative afin d’assurer un déploiement homogène au sein des établissements de santé et sécuriser les investigateurs sur leur avenir en les positionnant au cœur de la recherche clinique, permettrait ainsi de maintenir, voire renforcer, leur implication dans la réalisation de protocoles de recherches à promotion industrielle.