Dans cette affaire, un fabricant de dispositifs médicaux a vu la mise sur le marché, la distribution et l’exportation de ses produits suspendues par l’ANSM qui a également prononcé une injonction de rappel des produits déjà mis sur le marché depuis 3 ans. Le fabriquant a alors demandé au juge la suspension de cette décision par la voie des référés c’est-à-dire par la voie de l’urgence, estimant que celle-ci portait atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre.
Le juge des référés apprécie l’urgence in concreto c’est-à-dire par rapport aux justifications fournies par le requérant pour déterminer si, sans attendre le jugement sur le fond de l’affaire, la décision litigieuse doit être suspendue.
Le fabricant a obtenu gain de cause sur la reconnaissance de l’urgence, caractérisée en l’espèce par l’atteinte grave et immédiate aux intérêts de l’entreprise que représentait un rappel des produits sur une période de trois ans.
Le juge a également pris soin de relever que l’ANSM ne justifiait, pour ordonner le rappel des produits, d’aucun risque grave et avéré pour la santé publique, et ce quand bien même l’entreprise était partiellement responsable de ce rappel dans la mesure où elle avait commis une faute en poursuivant la commercialisation de produits dépourvus de marquage CE valide .
Outre l’urgence, le juge doit caractériser un doute sérieux quant à la légalité de la décision pour justifier sa suspension en référé.
Si le juge relève que la suspension de la mise sur le marché, de la distribution et de l’exportation des produits de la société ne peut être sérieusement contestée, en l’absence de certification valide, il n’en va pas de même s’agissant de la décision ordonnant la suspension de l’utilisation des produits et leur rappel sur une période de trois ans.
En effet, il a estimé ici que l’absence de danger avéré pour la santé résultant de l’utilisation des produits, élément que l’ANSM soulignait elle-même, permettait de caractériser un doute quant à la légalité de la décision de l’Agence qui avait manifestement commis une erreur d’appréciation.
Le juge, caractérisant ainsi l’urgence et un doute sérieux quant à la légalité de la décision, a donc suspendu la décision de l’ANSM en ce qu’elle ordonnait un rappel des produits de la société sur une période de trois ans.
L’ANSM qui s’est alors pourvue en cassation n’a toutefois pas obtenu gain de cause, le Conseil d’Etat ayant confirmé la position du juge des référés et maintenu la suspension de la décision.
Sans préjuger de la décision qui sera rendue au fond, cet arrêt est très intéressant à double titre.
Il a tout d’abord le mérite de rappeler à l’ANSM qu’une suspension de mise sur le marché, de distribution et d’exportation de dispositifs médicaux n’emporte pas de facto leur rappel.
En effet, l’absence de marquage CE qui fonde la décision de suspension de leur mise sur le marché, conformément à l’article L. 5312-2 du CSP, ne fonde pas pour autant celle d’ordonner le rappel des produits.
Pour mémoire, L. 5313-3 du CSP dispose que l’ANSM, « dans les cas mentionnés aux articles L. 5312-1 et L. 5312-2 , ainsi que dans le cas d’une suspension ou d’un retrait d’autorisation ou d’enregistrement d’un produit ou groupe de produits mentionné à l’article L. 5311-1, (…) peut enjoindre la personne physique ou morale responsable de la mise sur le marché, de la mise en service ou de l’utilisation de procéder au retrait du produit ou groupe de produits en tout lieu où il se trouve à sa destruction lorsque celle-ci constitue le seul moyen de faire cesser le danger, et ordonner la diffusion de mises en garde ou de précautions d’emploi. Ces mesures sont à la charge de cette personne. ».
Le retrait des produits faisant l’objet d’une suspension de mise sur le marché est donc laissé à la libre appréciation de l’ANSM et n’est donc pas systématique.
Le juge reproche à ce titre à l’ANSM d’avoir décidé le rappel des produits alors qu’aucun risque pour la santé publique n’avait été démontré.
En d’autres termes, le juge exige de l’ANSM qu’elle motive sa décision d’ordonner un rappel des produits non au regard de la suspension de leur mise sur le marché, et donc d’un défaut de marquage CE valide, mais au regard du danger avéré que représentent leur maintien sur le marché pour la santé publique et les utilisateurs. Ainsi, il ressort de cet arrêt deux enseignements :
1/Une suspension de mise sur le marché, de distribution et d’exportation des produits n’implique pas automatiquement une décision ordonnant leur rappel,
Le Conseil d’Etat retoque à ce titre l’ANSM en prenant le soin de relever que celle-ci « se bornait à soutenir devant le juge des référés comme elle le fait du reste dans le présent pourvoi, que la suspension de la mise sur le marché des produits litigieux, faute de certificat CE en cours de validité, impliquait nécessairement l’injonction de rappel des produits déjà mis sur le marché».
2/ L’ANSM doit motiver l’injonction de rappel des produits, au regard d’un risque avéré pour la santé. A défaut, elle ne peut prononcer une telle décision, d’autant plus lorsque, comme en l’espèce, elle prononce un rappel d’une telle ampleur qu’il menaçait la santé économique de l’entreprise.
Cette décision sonne comme un rappel à l’ordre pour l’ANSM dont la décision de retrait de dispositifs médicaux du marché doit être motivée et proportionnée aux enjeux de santé publique.
Lire la décision : CE, 9 février 2018, n°414845