La nouvelle définition des recherches non interventionnelles ne respecte pas le droit européen

Dans un précédent article, nous avions eu l’occasion de souligner la démarche innovante émanant du ministère de la santé qui avait, de son propre chef, décidé de créer une nouvelle catégorie de recherche : les recherches interventionnelles sans risque mais identifiées sous le vocable « recherche non interventionnelle ». 

Nous avions identifié l’origine de cette démarche innovante, à savoir l’Ordonnance n°2016-800 du 16  juin 2016 (toujours pas ratifiée !) qui avait modifié la définition de la catégorie des « recherches non interventionnelles », mais sans que nous nous en expliquions les causes.

En effet, les ordonnances ont cet avantage (du moins pour le pouvoir exécutif !) d’être totalement opaques sur les motivations des modifications législatives qu’elles contiennent, du moins a priori c’est-à-dire avant les discussions parlementaires entourant son éventuelle ratification. 

Tout au plus, le Rapport au Président de la République relatif à l’Ordonnance n° 2016-800 du 16 juin 2016 relative aux recherches impliquant la personne humaine précisait : 

« L’article 1er modifie le chapitre Ier du titre II du livre Ier du code de la santé publique notamment pour adapter la législation interne au règlement européen du 16 avril 2016. Ainsi, la définition des recherches non interventionnelles est-elle modifiée pour permettre une harmonisation des définitions, y compris avec le protocole additionnel de la convention d’Oviedo relatif à la recherche biomédicale. » 

L’explication était pour le moins énigmatique : « permettre une harmonisation des définitions y compris avec le protocole additionnel de la Convention d’Oviedo relatif à la recherche biomédicale » ! 

En quoi ce protocole additionnel relatif à la recherche biomédicale peut-il nécessiter la modification de la définition d’une catégorie de recherche, les « recherches non interventionnelles », n’entrant pas dans le champ d’application du protocole additionnel ? 

Encore une subtilité juridique qui n’a pas échappé au ministère de la santé mais qui nous échappe à nous, simples juristes ! 

Mais de grâce, partagez vos lumières ! Faites en profiter le plus grand nombre et surtout aidez les juristes à progresser. Ne vous limitez pas à partager vos analyses innovantes avec les seuls législateurs. 

En effet, un député semble avoir eu la chance de disposer de cette précieuse explication et heureusement, il a eu la gentillesse de la partager. 

Effectivement, à la lecture d’un récent rapport parlementaire, celui du député Cyrille ISSAC-SIBILLE concernant la proposition de loi relative à l’expertise des comités de protection des personnes (page 23), nous découvrons la motivation de cette modification :

 « L’ordonnance n° 2016-800 vise, d’une part, à adapter la législation relative aux recherches biomédicales au droit de l’Union européenne et, d’autre part, à coordonner l’intervention des CPP. Son article 1er tend à préciser la définition de la recherche non interventionnelle « pour permettre une harmonisation des définitions, y compris avec le protocole additionnel de la convention d’Oviedo relatif à la recherche biomédicale ». L’article L. 1121-1 dispose ainsi que les recherches non interventionnelles « ne comportent aucun risque ni contrainte » en conformité avec l’article 6 du protocole précité. Ce dernier précise notamment qu’une « recherche dont les résultats attendus ne comportent pas de bénéfice potentiel direct pour la santé de la personne concernée ne peut être entreprise que si la recherche ne présente, pour ceux ou celles qui y participent, aucun risque et aucune contrainte inacceptable ». » 

C’est donc l’article 6 du protocole additionnel à la Convention d’Oviedo relatif aux recherches biomédicales qui est à l’origine de la modification de la définition des recherches non interventionnelles !

Donc une telle recherche non interventionnelle ne peut être entreprise que si elle ne présente, pour ceux ou celles qui y participent, aucun risque et aucune contrainte inacceptable. Voilà donc l’origine de l’évolution de la définition des recherches non interventionnelles qui s’apparentent plus précisément à des recherches interventionnelles sans risque depuis, notamment, la publication de l’arrêté du 12 avril 2018 fixant la liste des recherches mentionnées au 3° de l’article L. 1121-1 du Code de la santé publique. 

Quelle déception, nous qui croyions être face à une innovation juridique de taille, prête à révolutionner le droit européen de la recherche clinique, nous sommes en réalité confrontés à une simple incompréhension de la portée et du contenu de ce protocole additionnel ! 

En effet, faut-il le rappeler mais, bien que la Convention d’Oviedo ait été ratifiée par la France, ce n’est pas le cas pour son protocole additionnel relatif à la recherche biomédicale. Il n’a donc strictement aucune valeur contraignante. 

Il ne peut donc contraindre la modification d’une législation nationale qui, par ailleurs, doit respecter la législation européenne. 

Enfin, et non des moindres, ce protocole ne s’applique qu’aux recherches dans le domaine de la santé impliquant une intervention sur l’être humain.

Aux fins du protocole, le terme « intervention » comprend (i) les interventions physiques, et (ii) toute autre intervention, dans la mesure où elle implique un risque pour la santé psychique de la personne concernée. Force est donc de constater que ce protocole additionnel ne s’applique pas aux recherches non interventionnelles et donc que son article 6 n’a aucune raison d’influencer la définition des recherches non interventionnelles.

Attention ne pas confondre « les recherches impliquant une intervention sur l’être humain » et « les recherches impliquant la personne humaine » !

Donc le protocole additionnel ne s’applique pas à l’ensemble des recherches impliquant la personne humaine mais uniquement aux recherches impliquant une intervention sur l’être humain. Si l’on est un juriste un tant soit peu rigoureux (ne signifiant pas pour autant pointilleux, juste rigoureux !), nous considérons que ce n’est pas la même chose ! 

Ainsi, cette soit disant « harmonisation » réalisée par l’ordonnance de juin 2016 vis-à-vis d’un texte sans valeur juridique contraignante, a finalement conduit à l’établissement d’une définition qui ne respecte plus les textes contraignants que sont la Directive 2001/20/CE et le Règlement (UE) 536/2014. 

En effet, ceux-ci ne font nullement état d’une quelconque notion d’absence de risque ou de contrainte et se limitent seulement à exiger l’absence de toutes procédures de diagnostic ou de surveillance appliquées aux participants par rapport à la pratique clinique normale. 

Par voie de conséquence, nous pouvons considérer et affirmer que la nouvelle définition des recherches non interventionnelles, telle qu’issue de l’ordonnance du 16 juin 2016, est contraire aux règles européennes. 

Aujourd’hui il appartient donc au législateur, dans le cadre de la ratification (ou pas !) de l’ordonnance n°2016-800 du 16 juin 2016, de corriger cette erreur grossière en revenant à la définition antérieure.