Dans le cadre de l’examen du projet de loi « relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé », traduisant législativement l’engagement gouvernemental « Ma santé 2022 », les députés ont tranché en faveur de l’amendement sur la transparence des relations contractuelles et intérêts financiers entre les industriels de santé et les « influenceurs » ou « Key Opinion Leaders », dont le rôle semble de plus en plus prégnant en matière de santé.
Depuis la loi Bertrand de 2011, les entreprises produisant ou commercialisant des produits à finalité sanitaire ou cosmétique ont l’obligation de publier sur la base de données publique Transparence (transparence.sante.gouv.fr) les conventions conclues avec différents acteurs du champ de la santé, ainsi que les rémunérations et autres avantages versés à ces derniers.
Si la liste de ces acteurs, telle que figurant à l’article L. 1453-1 du Code de la santé publique (CSP), était déjà étendue (ex : associations de professionnels de santé, fondations, sociétés savantes, éditeurs de presse…), « les influenceurs » pouvant avoir des liens d’intérêts financiers avec les industriels de santé n’étaient pas encore visés.
Or, les interventions sur Internet émanant de blogueurs, patients, ou encore de professionnels de santé intervenant en dehors de l’exercice habituel de leur profession (via les blogs et les réseaux sociaux comme Youtube, Facebook, Twitter…), sur les produits de santé sont de plus en plus fréquentes, et leur impact sur les internautes à ne pas négliger. A tel point, qu’en 2017, quelques jours avant l’entrée en vigueur de l’extension de l’obligation vaccinale de 3 à 11 vaccins, le ministère de la santé avait fait appel à deux Youtubeurs (Julien Ménielle, de la chaîne « Dans ton corps », et Bruce Benamran, de la chaîne « E-penser ») pour combattre les idées reçues sur les vaccins. En moins de 24 heures, leurs vidéos étaient vues plus de 280 000 fois.
Désormais, le texte adopté le 6 mars dernier par l’Assemblée comprend un nouvel article 24 qui vient ajouter à cette liste « les personnes qui, dans les médias ou sur les réseaux sociaux, présentent un ou plusieurs produits de santé, de manière à influencer le public ».
Cet ajout ayant vocation à lever l’opacité financière des relations contractuelles entre les industriels de santé et les « influenceurs », érige une définition de ces derniers qui nous laisse quelque peu perplexe quant à la caractérisation de la volonté d’influencer le public avant toute présentation de produit qui apparaît difficilement perceptible voire quasi impossible.
Dans son rapport de juin 2018, la mission « informatique et médicament » proposait d’ajouter à la liste de l’article L. 1453-1 du CSP les « Key Opinion Leaders numériques » définis de manière plus nuancée comme « toute personne qui (…) s’exprime régulièrement et publiquement dans les médias, y compris numériques, sur les sujets de santé, avec l’intention ou l’effet d’influencer ses lecteurs ou auditeurs ».
Nous pouvons également citer la définition plus étendue d’ « influenceur » proposée par l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP), à savoir : « un individu exprimant un point de vue ou donnant des conseils, dans un domaine spécifique et selon un style ou un traitement qui lui sont propres et que son audience identifie ».
Une difficulté de taille demeure néanmoins à travers toutes ces définitions : comment mesure-t-on un degré de notoriété suffisant permettant de considérer qu’une personne est une influenceuse ?
La lecture prochaine du projet de loi par le Sénat pourrait être l’occasion de préciser cette définition, voire même de revenir sur les amendements rejetés par les députés tendant à interdire aux entreprises du champ sanitaire d’offrir des avantages « aux influenceurs », et plus spécialement aux personnes réalisant des publi-reportages en faveur des dispositifs médicaux (cf. amendements n°1048 et 1070).
Quoi qu’il en soit, la mesure proposée à l’occasion des discussions sur le projet de loi « relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé », constitue les prémices de l’élaboration d’un cadre juridique des relations entre les industriels de santé et ces nouveaux « influenceurs » du domaine de la santé dont nous n’avons pas fini d’entendre parler…