La loi n° 2016-41 de modernisation de notre système de santé (« LMSS ») a annoncé un bouleversement du panorama législatif autour des avantages octroyés par les industriels de la santé. Pour ce faire, elle autorisait le Gouvernement à prendre par ordonnances (art. 180), jusqu’au 26 janvier 2017, des mesures relevant du domaine de la loi et notamment d’étendre le champ des personnes concernées par l’interdiction de donner/recevoir des avantages, d’étendre le champ d’application de cette interdiction et de ses dérogations, et enfin de l’assujettir à un régime d’autorisation et d’harmoniser les sanctions.
Six jours avant la fin du délai qui lui était imparti pour le faire, le Gouvernement a publié l’ordonnance n° 2017-49 du 19 janvier 2017 relative aux avantages offerts par les personnes fabriquant ou commercialisant des produits ou des prestations de santé.
Cette ordonnance ne se contente pas « d’étendre », par modification des articles existants, les champs d’application listés à l’article 180 de la LMSS. Au contraire : l’ordonnance n’abroge pas moins de six dispositions consacrant le dispositif anti-cadeaux, dont l’article L. 4113-6 du CSP, au profit de la création de trois nouvelles sections au sein du chapitre consacré aux avantages consentis par les entreprises. Ces nouvelles sections proposent un nouveau champ d’application, une interdiction de principe des avantages consentis et des dérogations.
Cette ordonnance entrera en vigueur à une date fixée par décret, et au plus tard le 1er juillet 2018.
Nous analyserons successivement les mesures adoptées.
1) Principe d’interdiction d’offre et de promesse d’avantages.
Le tout nouvel article L. 1453-3 du CSP pose le principe d’interdiction, pour toute personne qui produit ou commercialise des produits de santé (sauf lentilles, produits cosmétiques et produits de tatouage), d’offrir ou de promettre des avantages à des professionnels de santé notamment.
L’interdiction de l’article L. 1453-3 CSP ne s’applique pas aux entreprises qui « assurent des prestations de santé », qui seront définies par décret en Conseil d’Etat.
Des dispositions pourtant identiques siègaient à l’article L. 4113-6 du CSP (abrogé par l’ordonnance) qui visaient à rappeler le principe de l’interdiction des avantages octroyés à certains professionnels de santé. Seulement, cette interdiction de principe ne concernait que les avantages procurés par des entreprises dont les produits / services sont pris en charge par les régimes obligatoires de sécurité sociale.
L’article L. 1453-3 du CSP a donc une portée bien plus large en ce qu’il ne s’intéresse plus à l’existence d’une éventuelle prise en charge par les organismes de sécurité sociale.
Le nombre de bénéficiaires directs de ces avantages interdits augmente également. Parmi eux figurent « les associations qui regroupent des [personnes exerçant une profession de santé réglementée et aux étudiants se destinant à ces professions] ».
Ainsi, l’ordonnance procède à une redéfinition notable des « associations » bénéficiaires d’avantages. Elle ne vise plus uniquement les associations visées à l’article L. 4113-6, soit les « associations représentant [les étudiants et membres de professions médicales] », mais les associations de professionnels de santé telles que largement entendues à l’article L. 1453-1 du CSP relatif aux publications sur le SIPU.
La définition d’association sous L. 1453-1 du CSP renvoyait aux « associations qui réunissent des professionnels de santé et dont l’objet est en lien avec l’exercice de la profession » (Circulaire DGS/PP2 no 2013-224 du 29 mai 2013). D’après cette circulaire, il était ainsi possible de fournir des avantages aux associations reconnues d’utilité publique, aux associations d’activité de recherche et de formation médicale, ainsi qu’aux « sociétés savantes ».
L’ordonnance interdit désormais, sauf dérogation, d’offrir des avantages à ces deux dernières catégories d’associations de professionnels de santé. Les avantages octroyés aux associations dont l’objet est sans rapport avec leur activité professionnelle ne peuvent pas faire l’objet de dérogation.
Néanmoins, ni les nouvelles dispositions anti-cadeaux, ni le rapport fait au Président de la République sur l’ordonnance n’explicitent la notion de « regroupant des professionnels de santé». Il n’est donc pas possible, depuis la Loi Bertrand, de savoir si l’on considère une association comme « regroupant des professionnels de santé » dès lors qu’elle est intégralement ou partiellement composée de professionnels de santé. Ce point sera certainement tranché à l’avenir dans le cadre d’un contentieux.
Concernant la nature des avantages, l’article L. 1453-6 du CSP ne considère pas comme tels :
(i) la rémunération au titre d’un contrat ayant pour objet l’exercice direct et exclusif de la profession visée ;
(ii) les avantages « d’une valeur négligeable » – que nous supposons être inférieure à 10 euros bien que ce montant sera fixé par nature d’avantage dans un arrêté ministériel ;
(iii) les avantages commerciaux dans le cadre d’achats de biens et de services soumis au code du commerce ; et
(iv) « les produits de l’exploitation ou de la cession des droits de propriété intellectuelle relatifs à un produit de santé ».
Cette dernière disposition est particulièrement surprenante notamment lorsque l’on sait que le corolaire de nombreuses prestations de services rendues par des professionnels de santé consiste en un transfert de savoir-faire ou en un transfert de droit d’auteurs. Concrètement cela va poser d’intéressantes questions lors de la rédaction de certains contrats !
Le principe d’interdiction étant posé, des exceptions sont créées et maintenues par l’ordonnance n° 2017-49.
2) Dérogations à l’interdiction d’offre d’avantages.
A titre liminaire, notons que la notion de « promesse d’avantages » disparaît. Seules les offres d’avantages font l’objet de dérogation.
L’article L. 1453-7 du CSP autorise par dérogation :
(i) l’offre d’avantages dès lors qu’ils constituent la rémunération proportionnée et ne dépassent pas les frais supportés par le professionnel de santé dans une activité de recherche, de valorisation de recherche, d’évaluation scientifique, d’un conseil, d’une prestation de service ou d’une promotion commerciale ;
L’article L. 1453-7 autorise également, par dérogation :
(ii) les dons finançant ces activités de recherche ;
(iii) les dons aux sociétés savantes, aux conseils nationaux professionnels et aux associations dont l’objet a un rapport avec l’activité professionnelle de ses membres ;
(iv) les frais d’hospitalité ; et
(v) le financement d’actions de formation professionnelle ou de développement professionnel continu.
L’ordonnance prévoit un formalisme particulier afin de bénéficier de l’une de dérogations à l’interdiction des avantages. Chaque offre d’avantage devra faire l’objet d’une convention (art. L. 1453-8 CSP).
Chaque convention fera l’objet, en fonction des cas, d’une procédure de déclaration de dérogation ou d’une procédure d’autorisation de dérogation. Le contenu de ces conventions sera également défini par un décret en Conseil d’Etat ; la liberté contractuelle va subir de nouveaux assauts !
Les Conventions Uniques signées dans le cadre d’une recherche interventionnelle entre le Promoteur d’un essai et les Centres d’investigation y échappent. Pour mémoire, il est prévu que ces conventions soient transmises pour information au CNOM.
La convention prévoyant l’octroi d’avantages d’une valeur inférieure à celle fixée par arrêté ministériel et en fonction des professions et de la nature de la dérogation, est déclarée par télé-procédure à « l’autorité administrative compétente » ou « l’ordre professionnel concerné » qui émettront des recommandations.
En revanche, les conventions prévoyant des avantages tels que définis à l’article L. 1453-7 du CSP et dont le montant individuel ou cumulé par convention est supérieur aux montants (bientôt) fixés par arrêté, font l’objet d’une procédure d’autorisation. Ces conventions seront également télé-déclarées.
Ce nouveau système confirme l’approche envisagée par la Loi de modernisation de notre système de santé qui évoquait la notion « d’autorisation » des conventions industriel-professionnel de santé.
Un décret en Conseil d’Etat est attendu pour détailler les procédures de déclaration/autorisation, le délai au terme duquel le silence à une demande d’autorisation vaut acceptation et les conditions de notification de refus d’autorisation.
Enfin, l’article L. 1453-14 prévoit que les instances récipiendaires de déclarations et de demandes d’autorisation publieront un rapport biennal indiquant le nombre de conventions soumises à déclaration/autorisation, leur sort, ainsi que les données issues de ce dossier.
3) Un renforcement du dispositif de recherche des infractions à l’interdiction d’offre d’avantages, et des sanctions afférentes
L’article 4163-2 du CSP sera abrogé. Aujourd’hui, il sanctionne de deux ans d’emprisonnement, 75.000€ d’amende, et de l’interdiction d’exercer pendant dix ans (ceci constitue des maxima), les professionnels de santé, étudiants et associations les représentants ayant reçu des avantages indus.
Désormais, ces bénéficiaires encourent les sanctions prévues à l’article L. 1454-7 du CSP créé par l’ordonnance qui réduit leur peine d’emprisonnement à un an, l’interdiction d’exercer à cinq ans, et maintient le quantum de l’amende.
Les membres des commissions consultatives des ministères de la santé et de la sécurité sociale et les membres des autorités de régulation peuvent également être sanctionnés en vertu de l’article L. 1454-7 du CSP.
De plus, l’ordonnance vient préciser clairement les personnes en charge du contrôle de ces nouvelles dispositions et s’ajoutent ainsi aux agents de la DGCCRF, les officiers et agents de police judicaire, les inspecteurs de santé publique, les directeurs d’ARS et les inspecteurs de l’ANSM, qui communiqueront les faits aux autorités administratives et ordres professionnels concernés, alors à même de prononcer des sanctions disciplinaires susceptibles de s’ajouter aux sanctions pénales encourues.
En revanche, les entreprises sont, elles, punies de deux ans d’emprisonnement, et de 150.000€ d’amende, amende dont le montant peut être augmenté de 50% des dépenses engagées pour la pratique constituant le délit. La référence à la « pratique » est très incertaine et, en fonction des éventuelles interprétations des juges, pourra englober une multitude de dépenses non pas liées à l’avantage lui-même, mais à toutes les démarches entreprises pour approcher le professionnel de santé telles que d’éventuelles analyses des risques juridiques sur l’opération visée ou toutes autres dépenses pouvant considérablement augmenter le montant de l’amende.
En conclusion, des doutes peuvent être émis sur l’efficacité de cette ordonnance, dont la mise en œuvre est suspendue à la publication de dispositions réglementaire (pour mémoire, il a fallu attendre 14 ans pour que les textes d’application de l’article L. 4113-6 du CSP soient publiés !), mais une chose est sûre, nous entrons dans une nouvelle ère des relations entre industriels et professionnels de santé, dont le patient n’en sortira pas forcément vainqueur !