La réalisation d’un acte qui n’est pas qualifié de soin courant n’induit pas pour autant l’existence d’une recherche médicale

Pour déterminer si une pratique entre dans le cadre réglementaire des recherches médicales, il ne s’agit pas de savoir si elle s’inscrit dans une pratique de soins courants mais si le praticien qui l’a réalisée s’est positionné en tant que chercheur ayant un objectif collectif de recherche.

Pour déterminer si une pratique entre dans le cadre réglementaire des recherches médicales, il ne s’agit pas de savoir si elle s’inscrit dans une pratique de soins courants mais si le praticien qui l’a réalisée s’est positionné en tant que chercheur ayant un objectif collectif de recherche.

Ainsi, le juge répressif a considéré que la pratique de la cimentoplastie discale par injection percutanée réalisée par un chirurgien n’entrait pas dans le cadre réglementaire des recherches biomédicales/impliquant la personne humaine dans la mesure où ce chirurgien n’a pas eu la démarche intellectuelle d’un chercheur : ce dernier a donc été relaxé et n’a pas été sanctionné pour la conduite de recherches médicales en dehors du cadre légal et règlementaire.

 

Technique chirurgicale novatrice 

Un chirurgien orthopédique spécialiste de la colonne vertébral a réalisé plusieurs interventions de cimentoplastie discale par injection percutanée.

Il s’agit d’une technique impliquant l’injection de ciment dans un espace intervertébral dont la pratique a fait l’objet de discussions car considérée par certains comme « non autorisée en France » à la différence de la technique de cimentoplastie vertébrale consistant à injecter du ciment dans la vertèbre. En effet, la technique de cimentoplastie discale est une pratique novatrice faisant l’objet de publications scientifiques récentes.

A ce titre, il a été reproché au chirurgien, en pratiquant cette technique, d’avoir réalisé des recherches médicales entre 2015 et 2017 (i) sans avoir obtenu l’avis d’un Comité de Protection des Personnes (CPP) ni de l’autorité compétente, à savoir l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé (ANSM) et (ii) sans voir recueilli le consentement éclairé, libre et express des 126 patients concernés.

Le Tribunal judiciaire de Gap devait donc juger si le chirurgien avait réalisé des recherches médicales (biomédicales puis impliquant la personne humaine) sur ses patients en dehors de tout cadre légal et réglementaire.

 

Cadre juridique de la recherche médicale

Pour juger les faits reprochés, le Tribunal a considéré qu’il devait répondre à la question du cadre dans lequel entre la technique que le chirurgien reconnait avoir pratiqué sur ses patients.

A ce titre, il estime que l’applicabilité des textes d’incrimination est conditionnée à la définition préalable du cadre de la recherche et que pour déterminer ce cadre, « il ne s’agit pas de qualifier la méthode employée », ni « de valider cette dernière ». Sur ce point, la décision est intéressante puisque le Tribunal note qu’il n’existe, en matière médicale, aucune instance ni autorité compétente pour déterminer la régularité d’une pratique médicale et « que le juge répressif ne saurait donc juger du caractère novateur ou non de la cimentoplastie discale ».

Le Tribunal ne s’est donc pas astreint à déterminer la validité de la pratique de la cimentoplastie discale pour en déduire l’éventuelle existence d’une recherche médicale.

« Ainsi, le tribunal ne saurait retenir le raisonnement postulant que, si la cimentoplastie discale n’est pas un acte de soin courant alors, elle est nécessairement un acte de recherche. »

En revanche, le Tribunal s’est attelé à savoir si une recherche médicale avait été entreprise par le chirurgien en rappelant que l’infraction suppose, outre la réunion d’un élément légal, un élément matériel et un élément moral.

Pour savoir si une recherche médicale a été entreprise, les juges ont pris en considération les débats parlementaires permettant de comprendre la notion de recherche médicale et en a déduit deux éléments :

  •  Une recherche ne peut pas se définir par la négative, il faut prendre en considération aussi bien l’objectif et le contenu de la recherche.
  •  Le critère d’identification d’une recherche est fondé sur la distinction entre le but poursuivi collectif (la recherche) et l’intention individuelle (le soin).

Le Tribunal a relaxé le chirurgien en retenant que « l’absence de toute organisation ou planification dans le choix des patients et les indications, la quasi-improvisation de la mise en œuvre de la technique, sont de nature à démontrer que la démarche intellectuelle » n’a pas été celle d’un « chercheur ». Il a estimé que rien ne permettait de retenir que le chirurgien avait été guidé par un objectif collectif de recherche mais plutôt par une volonté individuelle de soin à l’égard de ses patients.

En effet, le chirurgien n’a eu de cesse que de faire primer l’intérêt de ses patients plus fragiles (âgés et/ou atteints de comorbidités) pour leur éviter une chirurgie plus lourde dont il considérait les risques comme plus importants que les bénéfices escomptés.

 

Expérimentations précliniques pour les chirurgiens innovants

D’une façon générale, cette décision devrait particulièrement intéresser les chirurgiens innovants et inventifs. Ils pourront confronter leurs pratiques aux critères définis par le Tribunal concernant les « expérimentations précliniques » et ainsi s’assurer que leurs actes constituent bien des soins courants et non des recherches impliquant la personne humaine.

« Le tribunal retiendra en particulier que la chirurgie revête nécessairement des aspects pragmatiques et adaptatifs qui nécessitent pour les praticiens de se montrer innovants et inventifs afin, notamment, de mener des expérimentations précliniques suffisant à assoir la mise en œuvre ultérieure d’un protocole de recherche encadré. Ainsi, les dispositions du code de la santé publique fondant les infractions reprochées (…) ne doivent pas avoir ni pour effet ni pour objet la pénalisation de pratiques professionnelles novatrices et adaptatives. »

Tribunal Judiciaire de GAP, 9 juin 2022, n°18332000027

 

Christine CHAURAND, Avocate
Thomas ROCHE, Avocat associé

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