Longtemps présentée comme la première loi de bioéthique au monde, la loi relative à la protection des personnes se prêtant à des recherches biomédicales du 20 décembre 1988, dite « Loi Huriet-Sérusclat » ou plus exactement, la recherche clinique, ne soulève finalement plus de questions éthiques.
Telle semble être, du moins, la vision du Gouvernement actuel, mais pas seulement !
Il n’aura pas échappé, à l’observateur averti que vous êtes, que le projet de loi relatif à la santé, devenu le projet de loi de modernisation de notre système de santé, contient des dispositions relatives aux recherches biomédicales.
Je ne parle pas de l’article 37 qui instaure le contrat unique pour les recherches cliniques ou bien encore de l’article 47 qui fusionne les chapitre IX et X de la loi Informatique et Libertés mais bien du fameux article 53 !
Cet article, tel qu’adopté en première lecture par l’Assemble nationale, autorise le Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures relevant du domaine de la loi qui ont pour objet d’adapter la législation relative aux recherches biomédicales, au règlement (UE) n° 536/2014 du 16 avril 2014 relatif aux essais cliniques de médicaments à usage humain, d’adapter cette législation aux fins de coordonner l’intervention des comités de protection des personnes mentionnés à l’article L. 1123-1 du même code et de procéder aux modifications de cette législation lorsque des adaptations avec d’autres dispositions législatives sont nécessaires.
Cette ordonnance devra être prise dans les 6 mois à compter de la promulgation de la loi de modernisation de notre système de santé.
Sur le principe, il est effectivement nécessaire d’adapter notre législation afin de permettre une parfaite mise en œuvre du règlement (UE) n° 536/2014 dès le second semestre 2016 mais, sur la forme, nous pouvons nous interroger sur la pertinence du choix de l’ordonnance.
Pour faire simple, une ordonnance est une mesure législative adoptée par le Gouvernement et donc ne faisant pas l’objet d’un débat parlementaire. Le Parlement (Assemblée nationale et Sénat) se contentant par une loi de transférer provisoirement et de manière encadré ses pouvoirs législatifs au Gouvernement et de valider par la suite l’ordonnance pour lui donner sa pleine effectivité en tant que mesure législative.
Telle est la solution choisie par le Gouvernement et confirmée par nos députés en vue de modifier la loi Huriet-Sérusclat ou la loi Jardé (on ne sait pas trop !).
Or, comme le souligne l’article 53, il s’agit de procéder aux (nombreuses) modifications de la législation française encadrant les recherches biomédicales, et d’adapter les règles de fonctionnement des Comités de Protection des Personnes (CPP) afin de coordonner leur intervention.
« Règlement (UE) n° 536/2014
Article 4 – Autorisation préalable
Un essai clinique est soumis à un examen scientifique et éthique et est autorisé conformément au présent règlement.
L’examen éthique est réalisé par un comité d’éthique conformément au droit de l’État membre concerné. L’examen par le comité d’éthique peut englober des aspects mentionnés dans la partie I du rapport d’évaluation pour l’autorisation d’un essai clinique visé à l’article 6, et dans la partie II dudit rapport d’évaluation visé à l’article 7, comme il convient pour chaque État membre concerné.
Les États membres veillent à ce que les délais et les procédures pour l’examen par les comités d’éthique soient compatibles avec les délais et procédures établis dans le présent règlement en ce qui concerne l’évaluation de la demande d’autorisation d’un essai clinique. »
Cette adaptation des CPP doit prendre en compte de nombreux facteurs que sont les délais imposés par le règlement (l’absence de réponse des autorités valant autorisation), la répartition qui devra s’opérer entre autorité compétente et CPP, la crise que traverse certains CPP, le récente rapport de l’IGAS relatif à l’évolution des CPP évaluant les projets de recherches impliquant la personne humaine après la loi « Jardé » du 5 mars 2012, etc., tout en garantissant l’examen des aspects éthiques de la recherche.
Les principes éthiques internationaux imposent l’évaluation d’un projet de recherche biomédicale par un comité d’éthique. Mais doit-on considérer qu’une évolution de leurs règles de fonctionnement et plus généralement de la législation encadrant de telles activités constitue « un projet de réforme sur les problèmes éthiques » ?
La réponse à cette question est certainement négative car, à défaut, le CCNE aurait organisé un débat public sous forme d’états généraux.
En effet, l’article L. 1412-1-1 du CSP (créé par la dernière loi n°2011-814 de bioéthique du 7 juillet 2011) prévoit que « tout projet de réforme sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé doit être précédé d’un débat public sous forme d’états généraux ».
Ces états généraux sont organisés à l’initiative du CCNE, après consultation des commissions parlementaires permanentes compétentes et de l’OPECST.
A la suite de ce débat public, le CCNE doit établir un rapport qu’il présente devant l’OPECST qui procède alors à son évaluation.
Visiblement la recherche clinique ne constitue plus un problème éthique, ne nécessitant aucun débat public au sens de l’article L. 1412-1-1 du CSP mais, au-delà, le projet de loi de modernisation de notre système de santé nous apprend qu’il s’agit d’un sujet qui ne mérite même plus de débats parlementaires.
Ainsi, l’administration française, pardon l’exécutif agissant sous délégation contrôlée du législatif, modernise nos règles éthiques dans l’indifférence la plus complète !