Suite aux recours du Conseil National de l’Ordre des Médecins (CNOM) et de l’Association pour une formation et une information médicales indépendantes de tout autre intérêt que celui de la santé des personnes (FORMINDEP), le Conseil d’Etat s’est prononcé, dans une décision du 24 février 2015 sur la légalité :
- du Décret n° 2013-414 du 21 mai 2013 relatif à la transparence des avantages accordés par les entreprises produisant ou commercialisant des produits à finalité sanitaire et cosmétique destinés à l’homme ;
- de la Circulaire N° DGS/PP2/2013/224 du 29 mai 2013 relative à l’application de l’article 2 de la Loi n°2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé.
S’agissant de la décision du Conseil d’Etat, vous trouverez ci-après ses apports.
1. Sur les obligations qui s’imposent aux entreprises produisant ou commercialisant des lentilles oculaires non correctrices, des produits cosmétiques et des produits de tatouage
Le Conseil d’Etat annule certaines dispositions de l’article R. 1453-8, I. du Code de la santé publique (CSP) issues du Décret du 21 mai 2013.
Cet article est désormais rédigé comme tel :
« I.- Les entreprises produisant ou commercialisant des produits mentionnés aux 14°, 15° et 17° de l’article L. 5311-1 ou assurant des prestations associées à ces produits rendent publique, dans les conditions définies à la présente section, l’existence des conventions relatives à la conduite de travaux d’évaluation de la sécurité, de vigilance ou de recherches biomédicales portant sur ces produits qu’elles concluent avec les personnes, associations, établissements, fondations, sociétés, organismes ou organes mentionnés au I de l’article L. 1453-1. »
Cette modification est justifiée au regard du fait qu’en limitant, pour les entreprises produisant ou commercialisant des lentilles oculaires non correctrices, des produits cosmétiques et des produits de tatouage, l’obligation depublication de l’article L. 1453-1 du CSP aux seules conventions relatives à la conduite de travaux d’évaluation de la sécurité, de vigilance ou de recherches biomédicales, le Décret du 21 mai 2013 a méconnu et est allé à l’encontre de l’intention du législateur qui est « de rendre publique l’existence des conventions » quelles qu’elles soient. Cette sanction de l’article R. 1453-8, I. paraît tout à fait légitime.
2. Sur l’exclusion des conventions relevant des articles L. 441-3 et L. 441-7 du Code de commerce
Le pouvoir réglementaire a exclu de l’obligation de publication prévue à l’article L. 1453-1 du CSP, par le biais de l’article R. 1453-2, alinéa I du même Code, les conventions relevant des articles L. 441-3 et L. 441-7 du Code de commerce (conventions qui ont pour objet l’achat de biens ou de services) entre les entreprises débitrices de l’obligation de publication et les acteurs concernés.
Le Conseil d’Etat valide cette exemption aux motifs que « le décret attaqué doit être regardé comme ayant exclu les seuls conventions et contrats mentionnés ci-dessus ». Or, en donnant cette précision, le pouvoir réglementaire n’a pas outrepassé ses droits
Egalement, le Conseil d’Etat considère que cette exemption est sans incidence sur les dispositions de l’article L. 1451-1 du CSP qui obligent toute personne mentionnée audit article de déclarer ses liens d’intérêts, quels qu’ils soient dès lors qu’elle prend des fonctions au sein de l’une des instances listées.
In fine, les juges de la haute juridiction administrative valident le principe même mis en place par le pouvoir réglementaire de la publication du seul objet catégoriel des conventions « formulé dans le respect des secrets protégés par la loi, notamment du secret industriel et commercial » (art. R. 1453-3, I., 3° du CSP). Le CNOM estimait, pour sa part, que l’absence de publication du texte même des conventions conférerait aux entreprises un pouvoir d’appréciation excessif, en violation du droit à la protection de la santé. Une telle position du Conseil d’Etat sur ce dernier point, ne peut qu’être saluée dans un secteur où le secret constitue la base de l’innovation et des développements futurs.
3. Sur la notion d’avantage
Ni le Décret du 21 mai 2013 pris pour application de la Loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011, ni ladite Loi ne définissent la notion d’avantage.
La Circulaire du 29 mai 2013 définit, pour sa part, l’avantage comme « ce qui est alloué ou versé à une personne bénéficiaire, y compris dans le cadre de conventions ».
Elle prévoit cependant des exceptions en précisant que « ne sont pas considérés comme des avantages les rémunérations, les salaires et les honoraires qui sont la contrepartie d’un travail ou d’une prestation de service, perçus par les personnes mentionnées à l’article L.1453-1 du CSP. »
« Toutefois, une rémunération manifestement disproportionnée par rapport au travail ou à la prestation de service rendue est susceptible d’être requalifiée en avantage ou en cadeau prohibé par les dispositions de l’article L. 4113-6 du CSP. »
Le Conseil d’Etat censure cette exception ainsi que la précision ci-dessus reproduite aux motifs que la Circulaire n’a pas lieu d’exclure « du champ des informations devant être rendues publiques, par des dispositions impératives à caractère général, l’ensemble des rémunérations, salaires et honoraires versés par une entreprise [concernée] qui sont la contrepartie d’un travail ou d’une prestation ».
Ce faisant, le Conseil d’Etat réintègre dans le champ de la publication au titre des avantages toutes les rémunérations, salaires et honoraires versés à toute personne visée à l’article L.1453-1 du CSP par une entreprise débitrice de l’obligation de publication sur le fondement du même article.
Enfin, le Conseil d’Etat précise également que :
- l’article R. 1453-2, II. du CSP, en se bornant à poser un principe de publicité des avantages en nature et en espèces, n’a pas pour effet, pas plus que pour objet, de déroger aux interdictions prévues à l’article L. 4113-6 du CSP sur l’interdiction des avantages en nature ou en espèces, directs ou indirects, aux professionnels de santé ;
- que c’est à bon droit que le pouvoir réglementaire n’a pas imposé aux groupements visés à l’article L. 1453-1 du CSP d’informer les entreprises débitrices de l’obligation de publication, du reversement à leurs membres de tout ou partie d’un avantage qui leur avait été alloué.
4. Sur les modalités d’association des ordres des professions de santé
Alors que l’article L. 1453-1, III. du CSP prévoyait qu’un décret en Conseil d’Etat devait fixer les modalités de la publication qu’il prévoyait, le CNOM s’était insurgé contre son absence d’implication dans un tel procédé au profit d’un site Internet unique.
Le Conseil d’Etat considère qu’en agissant de la sorte, le pouvoir réglementaire n’a pas méconnu les dispositions de l’article L. 1453-1 du CSP et était libre de fixer les modalités de publication qui lui semblaient les plus opportunes, quand bien même ces modalités excluraient les ordres des professions concernées.
5. Conséquences de la décision du Conseil d’Etat du 24 février 2015
En pratique, ce recours à l’encontre du Décret du 21 mai 2013 et de la Circulaire du 29 mai 2013 conduit à :
– ne plus restreindre l’obligation de publication, pour les entreprises produisant ou commercialisant des lentilles oculaires non correctrices, des produits cosmétiques et des produits de tatouage, aux seules conventions relatives à la conduite de travaux d’évaluation de la sécurité, de vigilance ou de recherches biomédicales ;
– à la réintégration dans le champ de la publication au titre des avantages toutes les rémunérations, salaires et honoraires versés à toute personne visée à l’article L.1453-1 du CSP par une entreprise débitrice de l’obligation de publication sur le fondement du même article.
Notons pour l’anecdote — qui n’en sera pas une pour les entreprises débitrices de l’obligation de publication — que la décision du Conseil d’Etat emporte rétroactivité de ses effets. Ainsi, tous les rémunérations, salaires et honoraires versés à toute personne visée à l’article L.1453-1 du CSP avant le 24 février 2015 et depuis le 1er janvier 2012 devront être publiés sur le site Internet unique au titre des avantages.
Egalement, dans le cadre d’une convention emportant rémunération d’une personne visée à l’article L. 1453-1 du CSP, les entreprises débitrices de l’obligation devront désormais :
– publier les informations relatives à ladite convention dans la catégorie « conventions » du site Internet unique ;
– publier la rémunération prévue au sein de ladite convention dans la catégorie « avantages » du même site.
Rappelons enfin que l’article R.1453-5 du CSP prévoit que les informations sont transmises au site Internet unique selon deux modalités :
– au fil de l’eau pour les conventions, dans un délai de 15 jours suivant leur signature ;
– de manière globalisée pour les avantages, au plus tard le 1er août pour les avantages alloués au cours du premier semestre de l’année en cours, et au 1er février de l’année suivante, pour les avantages alloués ou versés au cours du second semestre de l’année en cours.
Voilà qui devrait grandement faciliter la tâche des entreprises concernées…