Jeudi 16 février 2017, la Cour de Justice de l’Union Européenne (« CJUE ») a rendu son arrêt ((CJUE, 16 févr. 2017, aff. C-219/15.)), en réponse à la question préjudicielle posée par le Bundergerichtshof ((Cour fédérale allemande, juridiction au sommet de l’ordre judiciaire en matière civile.)), dans le cadre du litige opposant Madame Schmitt à TÜV Rheinland LGA Products GmbH (« TÜV »), l’organisme notifié (« ON ») allemand choisi par la société Poly Implants Prothèses (« PIP »).
En mars 2010, l’Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé (« ANSM ») avait suspendu la mise sur le marché et l’utilisation des implants mammaires (dispositif médical (« DM ») de classe III) à base de gel de silicone fabriqués par la société PIP. Ces implants semblaient se rompre du fait de l’usage d’un gel autre que celui déclaré initialement dans leur dossier de conception. La requérante a estimé que ce défaut aurait pu être évité par l’analyse des documents commerciaux de PIP (achat de composants, bons de livraisons, factures) et le contrôle des DM par l’ON. En effet, entre 1998 et 2008, TÜV n’a effectué que huit visites annoncées, sans ordonner le contrôle des implants. En 2011, les autorités françaises, puis belges et allemandes ont recommandé aux porteuses de se faire retirer leurs implants.
Madame Schmitt s’est vue retirer ses prothèses mammaires. La société PIP a fait l’objet d’une liquidation judiciaire, la requérante s’est alors tournée vers l’ON : les réponses que devait apporter la CJUE sur la responsabilité de l’ON étaient porteuses de sérieux enjeux. Ces enjeux étaient d’autant plus importants que l’arrêt de la Cour de Luxembourg intervenait moins d’un mois après la décision du tribunal de commerce de Toulon de condamner TÜV à verser une provision de 60 millions d’euros aux plaignantes ((Trib. Com. Toulon, 20 janv. 2017.)).
En réponse aux trois questions du Bundergerichtshof , la CJUE nous donne son interprétation, en l’espèce, de la directive 93/42/CEE relative aux dispositifs médicaux, notamment concernant (i) l’existence d’une éventuelle obligation générale – ou à tout le moins lorsque des motifs le justifient – pesant sur l’ON de contrôler les dispositifs médicaux, d’examiner les documents commerciaux et/ou de procéder à des contrôles inopinés et (ii) le fait de savoir si les patients potentiels peuvent directement et sans restriction engager la responsabilité de l’ON en cas de manquement fautif à ses obligations.
I. La reconnaissance, par la CJUE, d’une obligation générale de contrôler les dispositifs médicaux :
La CJUE rappelle que le point 5.3 de l’Annexe II (Déclaration CE de conformité) de la Directive 93/42/CEE impose à l’ON d’ « effectuer périodiquement des inspections et des évaluations appropriées », afin de s’assurer que le fabricant applique le système de qualité approuvé, dans le cadre de sa mission de surveillance.
Elle rappelle également que les ON ne sont pas tenus, en vertu de cette Annexe II ((Point 5.3 de l’Annexe II de la Directive 93/42/CEE : « En outre, l’organisme notifié peut faire des visites inopinées au fabricant ».)), à une obligation générale d’effectuer des inspections inopinées, de contrôler les dispositifs et/ou d’examiner les documents commerciaux du fabricant.
La Cour de Luxembourg reconnaît alors que les ON ont une grande marge de manœuvre dans l’appréciation de procéder à ces inspections. Toutefois, la Cour estime que cette marge ne doit pas être illimitée, et que « l’accomplissement par l’organisme notifié de son rôle (…) ne pourrait être assuré si ce dernier pouvait légitimement rester inactif en présence d’indices suggérant qu’un dispositif médical est susceptible d’être non conforme aux exigences de la directive 93/42 ».
Ainsi, la Cour rejoint la position développée par l’avocat général (cf. épisode 1) dans ses conclusions et soumet les ON à une obligation générale de diligence dans le cadre de la procédure relative à la déclaration CE de conformité. Par conséquent, « en présence d’indices suggérant qu’un DM est non-conforme à la Directive », l’ON doit «prendre toutes les mesures nécessaires afin de s’acquitter des obligations [de contrôle de système qualité, de l’examen de la conception du produit et de sa surveillance] ».
II. La responsabilité pour faute des ON peut être engagée par les patients potentiels :
Concernant l’engagement de la responsabilité des ON, il s’agissait pour la CJUE de déterminer si leur manquement fautif était susceptible d’engager leur responsabilité à l’égard des destinataires finaux des dispositifs médicaux.
La CJUE retient que la directive 93/42, vise à protéger les utilisateurs de dispositifs médicaux, les patients, et plus généralement les « tiers » ou « les autres personnes » ((Arrêt du 19 novembre 2009, Nordiska Dental, C-288/08, EU :C :2009 :718, point 29)).
A la Cour d’ajouter que la Directive 93/42 ne prévoit pas de mentions relatives aux modalités de l’engagement de la responsabilité civile des organismes notifiés, et qu’elle n’a pas « pour objet de régir les conditions dans lesquelles les destinataires finaux de dispositifs médicaux peuvent éventuellement obtenir réparation du fait du manquement fautif [des organismes notifiés à leurs obligations] ». Enfin, la Directive n’exclut pas d’autres régimes de responsabilité basés, par exemple, sur la faute. Pour cette raison, la Cour affirme que les conditions d’engagement de la responsabilité pour faute de l’ON par les destinataires finaux de dispositifs médicaux relèvent alors du droit national.
III. Portée de l’arrêt Elisabeth Schmitt contre TÜV :
Par cet arrêt, la CJUE contribue au mouvement de renforcement de la sécurité sanitaire, en augmentant le nombre de responsables potentiels en cas de produits défectueux. En effet, les destinataires finaux de DM peuvent désormais agir contre d’autres acteurs figurant dans la chaîne de responsabilité. En cas d’insolvabilité du fabricant de DM et/ou du fabricant de composant essentiel du DM, de leurs sous-traitants et/ou de leurs fournisseurs, les patients peuvent agir contre les ON en cas de faute résultant d’un manquement à leurs obligations de contrôle mais surtout de diligence.
Cependant, la portée de cet arrêt semble limitée. En effet, la Cour n’a pas rappelé les termes des Recommandations du 24 septembre 2013 ((Recommandation de la Commission Européenne du 24 septembre 2013 relative aux audits et évaluations réalisées par les organismes notifiés dans le domaine des dispositifs médicaux, 2013/473/UE)) qui prévoit pourtant que « les organismes notifiés devraient, en sus des audits initiaux, de surveillance ou de renouvellement, effectuer des visites chez le fabricant (…) sans l’en aviser préalablement (ci-après « audits inopinés ») à raison « d’une fois tous les trois ans au moins ».
Aucune notion de périodicité des contrôles inopinés n’est retenue dans cet arrêt. Son dispositif se borne à prévoir que l’ON n’est pas soumis à une obligation générale de procéder à des contrôles inopinés, mais qu’il est en présence d’indices suggérant qu’un dispositif médical est susceptible d’être non conforme à la Directive 93/42/CEE.