Après presque quatre années de négociations, le Règlement sur l’évaluation des technologies de la santé (ETS) a été adopté et publié au JOUE le 22 décembre 2021. Il s’appliquera à partir du 12 janvier 2025.
Après presque quatre années de négociations, et huit présidences de l’UE, la commissaire à la Santé, Stella Kyriakides, se félicitait le 13 décembre dernier de l’adoption tant attendue du Règlement sur l’évaluation des technologies de la santé (ETS) (Règlement (UE) 2021/2282 du 15/12/2021 – JOUE 22/12/2021) par le Parlement européen qui a maintenu les éléments clés de la proposition du 31 janvier 2018 de la Commission européenne à l’origine de ce texte d’importance.
Le Règlement, qui s’appliquera à partir du 12 janvier 2025, instaure un nouveau type de coopération entre les Etats membres en matière de santé et apporte selon la Commissaire « des avantages concrets à nos citoyens, à nos États membres ainsi qu’à nos systèmes de santé ».
De quoi parle-t-on ?
L’ETS est un processus scientifique fondé sur des données probantes qui permet aux autorités compétentes d’apprécier l’efficacité relative des technologies de la santé nouvelles ou existantes et les aide à garantir l’accessibilité, la qualité et la viabilité des soins de santé. Elle répond à des questions d’ordre clinique (quels sont les avantages d’une nouvelle technologie par rapport aux autres technologies de la santé existantes ou pour quels patients fonctionne‑t‑elle mieux ?), mais aussi à des questions non cliniques, d’ordre économique (quel est le coût pour le système de santé ?).
Le Règlement se concentre sur les aspects cliniques de l’ETS, c’est-à-dire l’identification d’un problème de santé et de la technologie de la santé actuelle, l’examen de ses caractéristiques techniques, sa sécurité relative et son efficacité clinique relative avec en particulier la valeur ajoutée de la technologie par rapport à d’autres technologies nouvelles ou existantes.
La justification du texte
Depuis plusieurs années, si les institutions européennes reconnaissent l’intérêt et le rôle clef de l’ETS en tant qu’instrument de politique sanitaire, et appellent à accentuer le développement d’une coopération européenne renforcée en la matière, jusqu’à présent le constat est celui de la diversité et de la multitude des méthodes d’évaluation clinique appliquées dans les États membres.
Ces exigences multiples en matière de données probantes et de méthodes sont source d’inégalités pour les développeurs de technologies en santé et contribuent à entraver leur accès au marché et le développement de l’innovation ce qui n’est pas bénéfique pour les patients.
Si une coopération entre les Etats s’est développée dans le contexte des actions communes et du réseau d’ETS pour l’échange d’informations scientifiques, facilitée par l’article 15 de la Directive 2011/24/UE, elle n’a toutefois pas contribué à remédier à la fragmentation des systèmes nationaux et à la répétition inutile d’activités. Principalement basée sur des projets, son financement se limite au court terme et doit être obtenu et renégocié lors de chaque cycle financier ne garantissant alors pas la poursuite des activités à long terme. Aussi, une action à l’échelon de l’Union, destinée à rapprocher les règles nationales régissant la manière d’accomplir des ETS s’imposait.
C’est chose faite avec le Règlement qui jette les bases d’une coopération européenne permanente et viable en matière d’évaluation clinique commune des nouveaux médicaments et de certains nouveaux dispositifs médicaux.
Que prévoit le Règlement ?
Les États membres pourront utiliser des méthodes, des procédures et des outils communs d’ETS dans toute l’Union, collaborant principalement dans quatre domaines :
1) les évaluations cliniques communes, axées sur les technologies de la santé les plus innovantes et présentant le plus fort potentiel de répercussions sur les patients ;
2) les consultations scientifiques communes, qui permettront aux développeurs de technologies de la santé de demander l’avis des autorités responsables de l’ETS ;
3) l’identification des technologies de la santé émergentes, pour déterminer tôt quelles sont les technologies prometteuses : Les travaux communs comprendront une étude annuelle sur l’identification des technologies de la santé émergentes, qui sera effectuée sous la responsabilité du groupe de coordination. Cet exercice, également appelé «analyse prospective», servira de contribution essentielle aux programmes de travail annuels.
4) la coopération volontaire dans d’autres domaines : les États membres auront la possibilité de continuer à coopérer volontairement à l’échelon de l’Union sur l’évaluation des technologies de la santé autres que les médicaments ou les dispositifs médicaux, les évaluations non cliniques, les évaluations collaboratives des dispositifs médicaux non soumis à des évaluations cliniques communes et la coopération en vue de l’obtention de données probantes supplémentaires nécessaires pour étayer les ETS, en particulier en ce qui concerne les technologies de la santé à usage compassionnel et les technologies de la santé obsolètes.
La mise en œuvre de la nouvelle réglementation sera progressive avec une période de transition de trois ans suivant la date de mise en application qui verra le nombre d’évaluations cliniques communes augmenter graduellement.
Champs d’application du Règlement
Les évaluations cliniques communes sont limitées :
- Aux médicaments soumis à la procédure centralisée d’autorisation de mise sur le marché, aux nouvelles substances actives et aux produits existants dont l’autorisation de mise sur le marché est étendue à une nouvelle indication thérapeutique
- à certaines classes de dispositifs médicaux et de dispositifs médicaux de diagnostic in vitro pour lesquelles les groupes d’experts concernés, établis conformément aux règlements (UE) 2017/745 et (UE) 2017/746 ont rendu leurs avis ou points de vue, et qui ont été sélectionnées par la Commission après recommandation du groupe de coordination. La sélection des dispositifs médicaux soumis à l’évaluation commune s’opère en fonction de des critères suivants:
- les besoins médicaux insatisfaits;
- l’incidence possible sur les patients, la santé publique ou les systèmes de soins de santé (charge de morbidité, incidence budgétaire, technologies transformatrices, etc.);
- la dimension transfrontière importante;
- la valeur ajoutée à l’échelle de l’Union (intérêt pour un grand nombre d’États membres, par exemple);
- les ressources disponibles.
En se concentrant sur les technologies les plus innovantes et en sélectionnant celles qui concernent le plus grand nombre d’États membres et ont les effets les plus importants du point de vue de la santé publique, l’Union européenne souhaite maximiser la valeur ajoutée des évaluations.
Groupe de coordination et mise en œuvre des évaluations cliniques communes
Le texte institue un groupe de coordination des États membres en matière d’ETS, composé de représentants des autorités et organismes d’ETS nationaux. Le groupe de coordination sera chargé de superviser les évaluations cliniques communes et autres travaux communs effectués par des experts nationaux désignés, organisés en différents sous‑groupes consacrés aux types particuliers de travaux communs (par exemple le sous‑groupe chargé des évaluations cliniques communes, le sous-groupe chargé des consultations scientifiques communes).
Ainsi le sous-groupe chargé des évaluations cliniques communes supervise la réalisation de l’évaluation clinique commune au nom du groupe de coordination et nomme, parmi ses membres, un évaluateur et un coévaluateur issus d’États membres différents, chargés de réaliser l’évaluation clinique commune. Les nominations tiennent compte de l’expertise scientifique nécessaire à l’évaluation.
Une évaluation clinique commune donne lieu à un rapport d’évaluation clinique commune, qui s’accompagne d’un rapport de synthèse. Ces rapports ne contiennent aucun jugement de valeur ni aucune conclusion sur la valeur ajoutée clinique globale de la technologie de la santé évaluée et se limitent à une description de l’analyse scientifique. Les rapports sont publiés par la Commission qui en informe le développeur de technologies de la santé.
Le déroulement chronologique de la procédure d’évaluation clinique commune des médicaments dépendra de celui de la procédure centralisée d’autorisation de mise sur le marché (concrètement, le rapport d’évaluation clinique commune sera disponible en même temps que la décision finale de la Commission octroyant l’autorisation de mise sur le marché ou peu de temps après). Les évaluations seront donc disponibles à temps pour fonder les décisions des États membres lors du lancement sur le marché.
Quant aux dispositifs médicaux, eu égard à la plus grande décentralisation de la procédure d’accès au marché des dispositifs médicaux, le moment où l’évaluation clinique commune aura lieu ne dépendra pas nécessairement de l’évaluation de la conformité, ce qui veut dire qu’elle ne sera pas toujours disponible lors du lancement sur le marché. Il appartiendra au groupe de coordination de choisir le moment le plus opportun pour effectuer une évaluation clinique commune. A cet égard, le considérant 38 du Règlement rappelle que les évaluations cliniques communes ne devraient ni retarder ni perturber le marquage CE des dispositifs médicaux et leur accès au marché, les travaux devant être séparés et distincts des évaluations réglementaires menées en vertu des règlements DM/DMDIV.
Espérons qu’en pratique ce sera réellement le cas et qu’au moment de l’entrée application du Règlement, les difficultés des fabricants pour faire certifier leurs produits selon les Règlement DM/DMDIV et seront résolues.
Quoiqu’il en soit, la Commission devra adopter par voie d’actes d’exécution, les règles de procédure détaillées concernant la coopération, notamment par l’échange d’informations, avec les organismes notifiés et les groupes d’experts concernant l’élaboration et la mise à jour des évaluations cliniques communes de DM et DMDIV.
Des règles de procédures générales applicables aux évaluations cliniques seront adoptées par la Commission avec pour objectif essentiel d’assurer que les évaluations cliniques, qu’elles soient effectuées à l’échelon de l’Union ou à celui des États membres, se déroulent de manière indépendante et transparente, à l’abri des conflits d’intérêts.
Marge de manœuvre des Etats membres
Les Etats membres conservent une marge de manœuvre dans ce contexte d’évaluation clinique commune en ce sens que le texte ne leur interdit pas de procéder à des évaluations nationales mais leur impose toutefois de tenir compte de cette évaluation si elle existe et de toutes autres informations disponibles sur une plateforme informatique dédiée. A cet égard, le texte précise que cette disposition ne porte pas atteinte à la compétence des États membres de tirer leurs propres conclusions concernant la valeur ajoutée clinique globale d’une technologie de la santé dans le contexte de leur système spécifique de soins de santé et d’examiner les parties de ces rapports qui sont pertinentes à cet égard. La protection du domaine de compétence exclusif des Etats est rappelée par le Règlement en son article premier aux termes duquel « Il ne porte pas atteinte à la compétence nationale exclusive des États membres, y compris celle relative aux décisions nationales en matière de tarification et de remboursement, ni à aucune autre compétence concernant la gestion et la prestation de services de santé et de soins médicaux par les États membres ainsi que l’allocation des ressources qui leur sont affectées. ».
Les consultations scientifiques communes
Enfin, il faut également noter que le Règlement permet aux développeurs de technologies de la santé de demander une consultation scientifique commune au groupe de coordination. Les consultations scientifiques communes, également appelées «dialogues initiaux», permettent à un développeur de technologies de la santé se trouvant au stade du développement de demander l’avis des autorités et organismes d’ETS sur les données et données probantes susceptibles d’être demandées plus tard dans le cadre d’une éventuelle évaluation clinique commune. Le groupe de coordination effectuera chaque année un nombre de consultations scientifiques déterminé en fonction de son programme de travail annuel et des ressources disponibles à cette fin.
Claire LAURIA, avocate
Thomas ROCHE, avocat associé