Loi Jardé, le chantier continue encore et toujours : publication de deux nouveaux arrêtés !

Si l’on avait pu raisonnablement penser que le ministère de la santé s’était enfin mis d’accord avec lui-même sur la définition des recherches interventionnelles à risques et contraintes minimes lors de la publication de l’arrêté du 3 mai 2017 (JORF du 6 mai 2017), c’était sans compter la publication d’un 3ème arrêté au JORF du 17 avril 2018 venant modifier à nouveau cette catégorie de recherche [Arrêté du 12 avril 2018 NOR].

Le ministère a non seulement modifié une nouvelle fois la liste des recherches interventionnelles à risques et contraintes minimes (RIRCM), mais il a également pour la première fois, par un arrêté du même jour, listé les recherches non interventionnelles (RNI), rendant ainsi le travail de qualification des recherches impliquant la personne humaine (RIPH) encore plus malaisé, incertain, voire impossible [Arrêté du 12 avril 2018 NOR SSAP1810240A JORF du 17 avril 2018].   

S’agissant de l’arrêté relatif aux RIRCM, un nouvel article 4 pose tout d’abord une présomption de qualification en RIRCM des recherches sur des personnes saines ou malades menées par des professionnels de santé ne relevant pas des professions médicales mentionnées au livre premier de la quatrième partie du code de la santé publique dans le respect des dispositions encadrant l’exercice de leur profession, si les actes pratiqués au cours de la recherche ne nécessitent pas la présence d’un médecin. Cette présomption souffre d’une dérogation qui fait basculer ces recherches dans la catégorie des RNI lorsqu’elles ne comportent que des entretiens, observations, enregistrements hors imagerie médicale, tests ou questionnaires et ne mettent pas en jeu la sécurité de la personne ou ne conduisent à la modification de sa prise en charge habituelle (a contrario, les recherches caractérisées par des entretiens, questionnaires dont les résultats peuvent influer sur la prise en charge du participant demeurent des RIRCM).

Une présomption de qualification de RIRCM recouvre également désormais les recherches portant sur un programme, une action ou une politique publique ayant pour objet des modifications de pratiques ou de comportements de personnes saines ou malades et susceptibles d’avoir une influence sur leur santé. 

Par ailleurs, l’appréciation du caractère minime des risques et contraintes s’enrichit de nouveaux critères et doit ainsi prendre en compte le sexe, les risques prévisibles et connus de l’intervention ainsi que les éventuels produits administrés ou utilisés.

Concernant plus précisément la liste des interventions mentionnées en Annexe 1, peuvent notamment être relevées les principales modifications suivantes :

  • Pour les prélèvements d’échantillons biologiques : l’écouvillonnage ne concerne désormais plus seulement le col utérin, mais également le vagin, l’œil et le nasopharynx, le prélèvement de liquide amniotique et de LCR supplémentaire ne doivent pas dépasser 5 ml cumulé soin/recherche.
  • Pour les techniques de recueil et de collecte de données au moyen de capteurs ou de méthodes d’imagerie : sont ajoutées les précisions selon lesquelles le recueil de données peut être fait lors les investigations sensorielles, ou sensomotrices et, le cadre de l’environnement virtuel ou un simulateur est également visé.
  • Pour les interventions susceptibles d’être réalisées dans le cadre de RIRCM portant sur produits cosmétiques : on note avec étonnement voir un certain amusement,  que l’arrachage des cheveux considéré comme une méthode douloureuse a laissé place aux « prélèvements de cheveux sans conséquence esthétique significative». La méthode de stripping a été également ajoutée à la liste.

Si l’on s’était réjoui de constater à la lecture de ce nouvel arrêté que le recueil de produits du corps humain demeurait exclu de la catégorie des RIRCM, on s’est vite ravisé à la lecture de l’arrêté du 18 avril 2018 relatif aux RNI.

En effet, celui-ci vise expressément au titre des actes et procédure pouvant être réalisés dans le cadre d’une RNI, le « Recueil d’éléments de produits du corps humain qui ne présente aucun caractère invasif et qui ne sont pas prélevés dans le cadre du soin : salive, glaire, urine, selles, sperme, méconium, lait maternel, colostrum, poils, cheveux, ongle, sueur ».

En outre, certains prélèvements supplémentaires de sang ne relèvent plus de la catégorie des RIRCM puisque, selon son mode d’obtention, cette opération peut entraîner la qualification de la recherche en RNI. Nous apprenons ainsi que le sang est un « produit » du corps humain qui peut être recueilli lors d’un prélèvement et donc qu’il ne s’agit pas d’un élément du corps humain nécessitant d’être prélevé. Il aurait été souhaitable que les dispositions législatives nous éclairent sur une telle possibilité !

Désormais, le recueil « supplémentaire et minime » de sang dans les limites des volumes mentionnés au tableau annexé à l’arrêté (avec les mêmes limites que pour une RIRCM !) peut donc relever d’une RNI.

Notons qu’il faudra bien distinguer aujourd’hui le type d’écouvillonnage mis en œuvre dans le cadre de la recherche, l’écouvillonnage « superficiel » de l’orifice anal, du conduit auditif, de la cavité buccale, du nez, de la peau et des stomies tombent dans la catégorie des RNI.

L’analyse de ces deux arrêtés suscite beaucoup d’interrogations autant sur le plan légal qu’au regard de la nécessité et de la pertinence des modifications apportées pour la 3ème  fois, en moins de 17 mois, à la définition des RIRCM. Concernant les RNI, présentées également sous le vocable « étude observationnelle », nous ne pouvions pas imaginer qu’un arrêté viendrait fixer la liste des actes ou procédures pouvant être réalisés, pour les besoins de la recherche, en supplément de la prise en charge normale des patients.

Comme quoi, tout est vraiment possible en matière d’encadrement de la recherche clinique en France !

Quoiqu’il en soit, les initiatives réglementaires et les nombreuses tergiversations du ministère créent une instabilité juridique génératrice d’une véritable insécurité juridique pour l’ensemble des opérationnels du secteur, mais également les juristes que nous sommes !